Les premières escadres sont à peine formées qu'éclate l'offensive tant redoutée par les Franco Britanniques. Le 21 mars 1918, les troupes allemandes déferlent en Picardie, submergeant les défenses alliées et s'appliquant à séparer les armées britannique et française afin de porter un Coup fatal a la coalition. Dans cette bataille où, pour la première fois depuis 1914, la guerre de mouvement semble reprendre sur le front occidental, Duval fait intervenir l'aviation réservée du groupe d'armées du Nord (G.A.N.), créée 11 jours auparavant par le rassemblement de deux groupements de combat constitués d'escadres de chasse et de bombardement (Les escadres portent, familièrement le nom de leurs chefs : escadre Ménard pour la chasse et escadre Féquant pour le bombardement. Ceux ci étaient déjà de grandes figures des débuts de l'aviation militaire française avant 1914. N.D.L.R.) et d'un groupe de bombardement de nuit.
L'ossature de ces dizaines d'escadrilles, Jetées dans le creuset des combats, est formée de deux avions principaux. Pour la chasse, il s'agit du SPAD XIII C1, brillant monoplace armé de deux mitrailleuses Vickers tirant a travers le champ de l'hélice. Cet appareil, outre qu'il est manoeuvrable, bénéficie d'une robustesse exceptionnelle, même si sa structure est de bois et son revêtement de toile. Mû par un moteur Hispano 8B de 220 ch, ce biplan a plus de surface alaire, plus de puissance que le VII; armé de deux mitrailleuses légères, il est incontestablement le meilleur des chasseurs alliés de 1918.
Les escadres de bombardement de jour, quant à elles, alignent pour la première fois dans l'histoire de cette guerre longue et cruelle, un avion bien adapté aux missions qu'elle est amenée à accomplir même si le lancement de 1a fabrication en série de cette machine a été fort retardé et s'il n'a commencé à servir en nombre qu'au début de 1918. Il s'agit du Breguet XIV B.2. Un appareil d'excellente facture qui sera grandement amélioré au fil des engagements opérationnels. Doté d'un moteur puissant un Renault ou un Lorraine Dietrich de 300 ch ce biplan innove dans le sens où en lieu et place du bois et des haubans habituels, sa structure comporte désormais une importante proportion de Duralumin. Stable maniable et souple, il atteint 180 km/h au niveau de la mer et près de 150 km/h a l'altitude de 5000 m, ce qui est très rapide car les chasseurs les plus performant ne vont guère plus vite. Il est capable d'emporter une charge offensive appréciable, constitué de 32 bombes de 8 kg et dispose d'un armement défensif' formé de deux mitrailleuses Lewis jumelées servies par l'opérateur de bombardement, en poste arrière, et d'une mitrailleuse Vickers montée sur le flanc de l'avant du fuselage et tirant, sous l'action du pilote, à travers le champ de l'hélice.
De son côté, l'aviation de bombardement de nuit, partie intégrante et importante de la future Division aérienne, repose sur 1e Voisin Renault, type IX ou X, à moteur de 280 ch, très supérieur au Voisin Peugeot et capable d'emporter une charge offensive de près de 300 kg. Le Voisin domine littéralement cette spécialité qui a accompli d'immenses progrès depuis les premiers raids nocturnes de la Grande Guerre, avec, en août 1918, 245 exemplaires en service dans les escadrilles françaises, contre trois dizaines de Caproni, gros biplans bimoteurs italiens.
L'aviation réservée du G.A.N. se montre d'une efficacité réelle lors de la bataille livrée pendant les derniers jours de mars. Elle fait intervenir indifféremment ses escadres de chasse afin de balayer du ciel les avions ennemis ou, dans des actions combinées, ses escadres de chasse et de bombardement.
Duval comprend vite, comme les Britanniques le feront en 1941 1942 en montant leurs opérations Circus ou Rodeo, que seule l'intervention du bombardement contraint l'ennemi à faire décoller ses avions de chasse. Il imagine donc une méthode mettant en action des escadrilles de bombardement de jour, escortées de près par des "avions de combat" biplaces ou triplaces, et accompagnées à distance par des formations de chasseurs monoplaces.
Et cela paie. Changeant de base de départ rapidement et de nuit, parfois à 150 km de distance, les groupements Ménard et Féquant peuvent, dès le matin suivant, engager plusieurs dizaines d'avions dans la bataille. À ce rythme, l'aviation française parvient, en quatre jours, du 21 au 25 mars, à acquérir la maîtrise du ciel au dessus de la Picardie. Dès le lendemain, par groupes de 80, SPAD et Breguet, frappés de la cocarde française, interviennent sur les arrières des Allemands, semant la panique et désorganisant les troupes en marche et les convois de l'ennemi, faisant naître chez lui le sentiment de n'être plus nulle part à l'abri. Au début d'avril, lorsque l'offensive allemande s'arrête, à bout de souffle, tout près d'Amiens, l'aviation réservée du G.A.N. peut se targuer d'avoir lancé dans la bataille 77 escadrilles, parmi lesquelles 36 de chasse, 18 de bombardement de jour et de nuit, 14 de corps d'armée et d'artillerie.
Les succès remportés pendant la bataille de Picardie confortent Duval dans l'idée que les thèses qu'il s'applique à défendre sont les bonnes. Tour a tour passant de la réflexion à la mise en pratique, il tire les enseignements des opérations de la fin du mois de mars en créant la Division aérienne (Daé).
Le commandant de l'aéronautique aux armées discerne dans cette Division aérienne la formule idéale pour coordonner de façon efficace l'action de toute l'aviation réservée. Aussi, le 14 mai 1918, il rassemble dans cette structure nouvelle et originale que ni les alliés, ni les ennemis de la France n'ont imaginée quatre groupements complets, ceux de Ménard, Féquant, Chabert et Villomé, soit plus de 600 avions de chasse ou de bombardement. Cette masse doit agir en bloc, sous un même commandement, sans qu'il soit question de la disperser au sein des différentes armées terrestres. Ce faisant, Duval, devenu général, se heurte à l'hostilité latente, sinon virulente, de presque tous ses subordonnés : le commandant de Goÿs, qui incarne le bombardement, les commandants Ménard et Féquant, représentants des chasseurs. Là réside l'essentiel du débat sur la Division aérienne; là s'affrontent de plein fouet les conceptions des responsables terrestres, qui souhaitent disposer de leurs moyens aériens propres, et celles de Duval qui prend en compte les particularités de l'arme aérienne et essaie d'en tirer le parti le meilleur. Confronté à un tel tollé, il tient à diriger lui-même la Division aérienne au combat. Au moins disposera-t-il du poids nécessaire pour agir contre tous ceux qui s'emploieront à la dissocier. Il résistera jusqu'au 8 septembre 1918, lorsque la tempête se sera apaisée, et cédera la place à l'un de ses fidèles adjoints, le Col. de Vaulgrenant.
La DAé a été constituée depuis à peine 13 jours qu'une catastrophe sans précédent s'abat sur le front français. Dans le secteur du Chemin des Dames, une offensive allemande foudroyante emporte dans un maelström de fer et de feu les lignes tenues par des divisions françaises et britanniques fatiguées. Les lignes alliées sont percées en quelques heures et les Allemands progressent bientôt en terrain libre tout droit vers le Sud, droit vers la Marne. Aucun obstacle naturel ne peut les ralentir. Bientôt, ils menacent Paris, approchant de ChâteauThierry et de Dormans.
Hormis le bombardement de nuit, qui assaille sans cesse les arrières de l'ennemi, le bombardement de jour intervient par vagues successives, après avoir été rassemblé en deux jours, conduit par les Vuillemin, les de Goÿs, les des Prez de la Morlais. Ne tenant que très peu compte du danger, les Breguet XIV B.2, accompagnés par les chasseurs monoplaces, parfois à basse altitude, larguent leurs bombes ou mitraillent les colonnes allemandes qui déferlent depuis Fismes, dans la région de Fère-en-Tardenois.
Mais les pertes deviennent importantes et les effectifs des escadrilles fondent à toute vitesse. Aussi faut-il trouver d'urgence une solution au problème lancinant de l'escorte en profondeur au-dessus du territoire adverse. Les SPAD manquent d'autonomie pour suivre les bombardiers loin au-dessus de l'ennemi. En attendant, il faut faire avec ce qui existe...
Et les résultats sont étonnants! Lors de la contre-offensive Mangin du 11 juin 1918, au sud de Montdidier, les 600 avions de Duval, rassemblés sur un front de 130 km, s'assurent une complète maîtrise de l'air. Les unités de bombardement peuvent alors participer à la bataille terrestre, en écrasant les positions de l'artillerie et les lignes de communication ennemies.
Merci beaucoup à monsieur Michel Bénichou Rédacteur en Chef du "Fana de l'Aviation" qui nous autorise à reproduire l'article de monsieur Patrick Facon (Directeur des recherches du Service Historique de l'Armée de l'Air) sur l'organisation et le matériel de l'Aéronautique militaire française lors de la deuxième bataille de la Marne. Cette article, illustré de photos, est paru dans le numéro 348 de novembre 1998, merci encore à tous deux.